Vous êtes médecin et vous souhaitez vous installer en libéral. Vous allez devoir gérer une nouvelle compétence : la comptabilité. Pour vous aider, Maxime, expert-comptable, vous partage de précieux conseils.
L’installation est une grande étape dans votre vie de médecin. Et si vous passez du secteur public au secteur libéral, de nouvelles fonctions vous attendent, notamment la gestion fiscale.
Pour vous aider à mieux vous y retrouver, Maxime Ponge, notre expert-comptable, est venu nous parler de ces sujets dans notre 3ème épisode de L’oeil de l’expert. De la création de votre statut aux conseils de suivi de votre comptabilité, tous les points essentiels sont abordés.
Démarrage de votre activité : le choix du régime fiscal
DP : « Dans la lignée de la précédente vidéo qu’on avait faite au sujet des remplacements et en particulier des remplaçants sur le point comptabilité, j’aurais aimé qu’on parle maintenant des médecins qui sont installés, ce qui est maintenant mon cas.
Pour en savoir un petit peu plus, on avait pas mal discuté déjà des régimes micro-BNC et des régimes au réel. Est-ce que tu peux nous faire un rapide récapitulatif pour qu’on reprenne sur les mêmes bases ? »
Régime micro-BNC ou BNC ?
MP : « Même dans le cadre de médecins qui sont définitivement installés et qui ne seraient plus remplaçants, on peut bénéficier des deux régimes fiscaux principaux à savoir le micro-BNC et le régime réel, dit de la déclaration contrôlée.
Petit récapitulatif simple et rapide : le micro-BNC, c’est le régime simplifié par excellence, donc comptabilité simplifiée, peu d’administratif, voire pas du tout, ce que vous adorez en plus. Et ce régime te permet d’avoir un abattement forfaitaire, de 34% sur les revenus bruts que tu as encaissés. Ce qui en plus te permet aussi de les déclarer qu’une seule fois par an directement sur ta déclaration d’impôts, la fameuse 2042 C Pro.
Le second régime qui lui est un petit peu plus dense, c’est le régime réel, de la déclaration contrôlée, qui lui aussi est sous-jacent à un seuil de chiffre d’affaires. Si tu dépasses les fameux 77 000 euros qui étaient le critère du micro-BNC, à ce moment-là tu es automatiquement dans ce régime-là, mais tu peux sur option, être dans le régime de la déclaration contrôlée. Si tu sais que tu vas avoir une évolution très rapide de l’activité, tu peux choisir ce régime-là. Ce régime il est aussi simple en termes de fonctionnement, il consiste à prendre en compte tout ce que tu encaisses, dont tes recettes, et à déduire tout ce que tu dépenses. C’est un simple fonctionnement de comptabilité de trésorerie, et donc tu déclares uniquement le revenu qui reste à la fin au niveau des impôts et également au niveau des organismes sociaux. »
DP : « Alors en pratique, si je choisis plutôt le régime réel, quelles vont être les obligations, parce que tu disais que sur le micro tu déclares qu’une seule fois. Au réel, il faut déclarer plusieurs fois, comment ça se passe ? »
MP : «Tout à fait. Au réel, tu vas avoir une liasse fiscale à établir, par un cabinet d’expertise comptable avant début mai de l’année qui suit. Je te donne un exemple. Pour tes revenus de l’année 2024, il va falloir établir la liasse fiscale avant début mai 2025.
Il y a toujours un délai supplémentaire. Et une fois cette liasse fiscale déclarée, le revenu qui aura été déclaré devra être lui aussi reporté dans ta déclaration d’impôts personnelle la 2042 C Pro. Cette déclaration, il faut savoir que depuis deux ans à peu près, elle fait l’objet aussi d’un rassemblement de l’ensemble des informations également pour la partie sociale. Sont intégrés les éléments déclaratifs pour l’Urssaf et pour la CARMF dans une 2042 qui s’appelle déclaration des revenus des indépendants. C’est assez simple aussi. Mais ils ont tout rassemblé directement sur une seule déclaration. »
DP : « Donc maintenant, on n’a plus besoin de faire une déclaration à la CARMF, une déclaration à l’URSSAF, plus l’histoire des impôts, c’est tout au même endroit. »
MP : «Tout à fait. Tout est rassemblé. Et le seul point qui peut arriver suivant ton activité, c’est éventuellement si tu as des revenus qui sont assujettis à la TVA. Alors à ce moment-là, tu devras aussi déposer des déclarations de TVA avec une périodicité soit au mois soit au trimestre. »
DP : « Je sais qu’en tant qu’urologue, je n’ai pas d’histoire de TVA comme beaucoup de médecins. C’est vrai que, par exemple, ceux qui font de l’esthétique, eux, ils peuvent y être sujets ? »
MP : « Tout à fait. »
DP : «Donc il y a cette petite particularité. »
MP : « C’est ça. Et en plus, tu as l’aspect, tu peux avoir aussi des formations. La formation rentre aussi dans le cadre de l’assujettissement. Et il faut prévoir les déclarations adéquates. »
DP : « On vient de discuter des différents régimes que tu peux avoir. Micro-BNC, régime réel. J’imagine que toi, dans ton expérience d’expert-comptable, en ayant géré pas mal de dossiers de médecins. Tu dois avoir vu un certain nombre d’erreurs… Est-ce que tu peux m’en dire quelques-unes ? »
Les 5 erreurs à éviter
MP : « Oui. Alors je peux te citer les cinq principales erreurs que j’ai pu rencontrer tout au long de ma carrière.
Se précipiter pour choisir son régime fiscal
La première, qui en mon sens est la plus importante et la plus régulière, c’est le mauvais choix du régime fiscal. Très clairement, le manque d’anticipation, le fait de se précipiter dans le choix du régime lorsqu’on démarre son activité, qu’on ne prend pas le temps, d’y réfléchir en amont avec sa situation au cas par cas, c’est quelque chose qui est problématique dans la suite de l’activité. Non pas que c’est irrémédiable parce qu’on peut changer d’un régime à l’autre, mais par contre, ça fait perdre du temps, ça peut faire perdre de l’argent aussi si on ne s’y prend pas assez tôt. Et donc forcément, c’est quelque chose qui peut pénaliser le médecin. »
DP : « Si par exemple, je me suis inscrit au micro-BNC parce que sur le papier, ça avait l’air plus simple et qu’en réalité, on se rend compte que finalement, j’ai pas mal de charges, j’ai en plus le loyer, la secrétaire, etc. Et tout un tas de choses que je n’avais pas anticipées. Finalement, je vais me retrouver à avoir beaucoup plus de charges que l’abattement forfaitaire auquel j’ai le droit au micro. Et je vais payer des impôts sur de l’argent que je n’aurai pas touché. »
MP : « Exactement. »
DP : « Ok. Très bien. »
Confondre recettes et revenus
MP : « Je pense que la seconde erreur que je vois le plus fréquemment, c’est la confusion entre les recettes d’une part et les revenus d’autre part. Au niveau des revenus et des recettes, ce sont deux notions qui sont différentes et qui à la fois résultent l’une de l’autre. Les recettes, c’est le chiffre d’affaires que tu vas encaisser tout au long de l’année pour tes prestations médicales que tu vas percevoir sur ton compte. »
DP : « En gros, tout ce que je gagne quand je fais des consultations ou quand je fais des actes au bloc, etc., tout ce qui arrive sur le compte en positif. »
MP : « C’est ça. On peut simplifier là-dessus. Ça, c’est les recettes. Et le revenu, lui, il découle des recettes en ayant déduit dans le cadre d’un régime réel, par exemple, les charges que tu as payées tout au long de l’année. Je fais recettes moins dépenses, j’ai mon revenu. »
DP : « Par exemple, pour avoir le revenu, je prends tout ce que j’ai gagné sur le compte. J’enlève ce que j’ai dépensé comme par exemple ma secrétaire, mon local, mon cabinet, éventuellement mon matériel. Si j’ai acheté par exemple une table d’examen, des choses comme ça. C’est ce que je vais enlever, éventuellement mes formations. Donc on déduit des recettes pour avoir le revenu. »
MP : « Dans le cadre du régime de la déclaration contrôlée, c’est ça. Et pour le micro-BNC, on prend tes recettes, moins l’abattement forfaitaire, et ça donne ton revenu fiscalisable. »
DP : « Ça marche. »
Oublier de déduire ses charges
MP : « Donc ça, c’était les deux principales. La troisième qui suit et qui est non des moindres avec un impact financier certain, c’est l’oubli de déduction de certaines charges. Ça t’est déjà arrivé peut-être ? »
DP : « J’ai un ami qui s’est un peu trompé. Il a payé un remplaçant en direct et il a oublié de le noter dans ses charges de cabinet. Et c’est vrai que son comptable lui avait fait la réflexion par la suite. Comme quoi, ça lui avait fait perdre de l’argent à lui. C’est ça, Maxime ? »
MP : « Tout à fait. C’est le cas le plus fréquent, c’est-à-dire que la dépense qui est payée par le médecin à titre personnel et qu’il a oublié de reporter dans ses dépenses professionnelles. Nous, côté cabinet, on n’a pas l’information si on ne nous la transmet pas, surtout s’il a payé à titre personnel. Et ça signifie surtout que je ne vais pas pouvoir la déduire et donc diminuer son revenu sur lequel il va payer de l’impôt. C’est une perte financière pour le médecin. D’où l’intérêt d’être organisé, de conserver ses justificatifs et de les transmettre aussi au comptable de manière à ce qu’on puisse les pointer. Et si on ne voit pas la dépense, pouvoir poser la question au médecin et rattacher ces éléments-là dans sa comptabilité. »
Manque d’anticipation des acomptes et des cotisations provisionnelles
MP : « Le quatrième point, j’en avais parlé aussi dans la vidéo précédente, c’est le fait de pouvoir anticiper au niveau des acomptes et des cotisations provisionnelles au niveau social. Cet aspect-là est hyper important. Pourquoi ? Parce que dans le cadre d’un début d’activité ou même dans le cadre d’une évolution d’activité, tu vas être appelé sur une certaine somme tous les mois au niveau de ta comptabilité et des cotisations sociales. »
DP : « Donc là, tu parles de ce que je dois à l’Urssaf »
MP : « Exactement. Et impôts sur le revenu. Parce que pour les deux, tu dois payer des acomptes. Ils sont calculés sur la base du revenu que tu as déclaré l’année d’avant pour garder quand même une base de calcul. Si tu maintiens ce revenu, ça va être relativement lissé d’une année sur l’autre, par contre, si tu as une variation à la hausse comme à la baisse, du coup tes acomptes ne sont plus cohérents. »
DP : « Par exemple, je débute mon activité en libéral, au début je ne vais pas avoir un revenu incroyable la première année. J’espère en tout cas que l’année d’après, ça va aller mieux. Ça veut dire que si je gagne plus l’année d’après, si mes charges et mes impôts sont calculés sur l’année d’avant, pendant un an, je ne vais pas payer grand-chose. Mais à la fin de l’année, je vais avoir une grosse somme à rattraper. C’est ça qui va se passer ? »
MP : « Exactement. Somme que tu devras payer l’année prochaine. Donc c’est ce fameux effet régularisation qui intervient l’année d’après. Et souvent, l’erreur à laquelle je suis le plus confronté, ce sont les médecins qui justement en ayant dépensé l’argent qu’ils ont cumulé sur une année, se retrouvent l’année d’après à devoir sortir cet argent-là qu’ils n’ont plus.
D’où la nécessité de faire des réserves de trésorerie et de pouvoir anticiper à ce niveau-là. Et tu vois que ce soit à la fois sur l’aspect impôt sur le revenu, mais aussi sur l’aspect cotisation sociale. On a la possibilité de moduler nos revenus à la hausse comme à la baisse et de pouvoir recalculer des échéanciers qui permettent d’être le plus proche de la réalité. Qui dit plus proche de la réalité dit aussi un suivi plus précis de la trésorerie et en évitant les fluctuations. »
DP : « Si je résume, tu as quand même un intérêt à suivre ta comptabilité assez régulièrement pour pouvoir justement te dire sur les six premiers mois de l’année, j’ai quand même gagné deux fois plus par exemple que sur les six premiers mois de l’année dernière, va falloir régulariser tout de suite et pas attendre la fin de l’année là sinon ça risque de me faire pas mal à récupérer à la suite l’année d’après. »
MP : « Tout à fait. Et le gros point en cas d’importante régularisation l’année d’après, ce qu’il faut se dire c’est que ça va être comptabilisé comme des charges l’année d’après. Donc si j’ai une grosse régularisation, je vais payer beaucoup, je vais avoir beaucoup de charges et je vais écraser mon revenu d’activité. Si par exemple tu me dis je vais acheter une maison ou j’ai des projets de développement ça peut être pénalisant pour toi au niveau de ton activité. »
DP : « D’accord parce que la banque elle va te dire, « mais non, mais regardez en fait, « vous gagnez beaucoup moins cette année » alors qu’en fait tu gagnes la même chose voire même tu gagnes plus. Mais comme tu dois rembourser ce que tu n’as pas payé l’année d’avant, ça s’enlève à ce que tu arrives à gagner cette année-là. »
MP : « Exactement, tu as tout compris. »
Retard dans les déclarations
MP : « Le dernier point qui est aussi central et malheureusement j’ai encore des clients qui sont dans ces situations-là par je pense manque de temps ou d’organisation, c’est le fait d’être en retard dans les déclarations.
Forcément, la transmission de documents et d’informations tardives implique aussi une production tardive. Si tu es hors délais, tu t’exposes à des pénalités et à des intérêts de retard et tu t’exposes également à un risque plus élevé de contrôle fiscal de la part de l’administration puisque forcément, retard, point d’interrogation aussi pour l’administration, « que se passe-t-il ? »
Là aussi, bien être vigilant, hors l’impact financier que ça peut avoir à payer pour le médecin. Après, ça peut aussi découler sur des situations un petit peu plus problématiques. Autant s’éviter les ennuis pour la suite. »
DP : « Le meilleur moyen pour ça, c’est quand même d’avoir un comptable qui fait la déclaration avec toi pour éviter de faire des bêtises et surtout pour te rappeler qu’il faut la faire dans les temps.
On a vu finalement la base de la comptabilité pour un médecin installé.
Maintenant, un comptable ne sert pas qu’à faire une déclaration. Bien sûr, il y a beaucoup de sujets sur lesquels il peut y avoir un intérêt à se faire accompagner. Comme par exemple, si on a envie de développer son cabinet, de déménager, acheter les locaux, du matériel, on va devoir investir.
Comment ça se passe ? Quel est l’intérêt d’avoir une bonne comptabilité pour pouvoir anticiper ces dépenses-là et pour pouvoir les maîtriser le mieux possible ? »
Le rôle de l’expert-comptable
Se faire accompagner pour anticiper ses projets au long terme
MP : « T’as compris l’idée, en fait, l’objectif de travailler en collaboration avec un expert-comptable, c’est de pouvoir justement anticiper et planifier sur le long terme.
Typiquement, tu parlais de projets d’acquisition immobilière. Justement, en ayant la comptabilité à jour de manière régulière, on pourrait établir rapidement des prévisionnels à présenter à la banque pour pouvoir après aller emprunter, donc développer son activité. Tu pourras aussi aller chercher de l’optimisation en fonction de l’atterrissage de ton résultat, que ce soit par des contrats collectifs, le PE, le PERCO, tu peux avoir aussi de la Madelin, les contrats de couverture telles que la prévoyance. D’ailleurs, à ce sujet, toi qui a évolué de remplaçant et qui maintenant es installé, typiquement, la prévoyance, c’est quelque chose que tu mets à jour régulièrement, tu l’as mise à jour cette année ? »
Mettre à jour ses assurances et prévoyance
DP : « Régulièrement, oui, peut-être pas cette année, effectivement. »
MP : « Eh bien justement, tu as une évolution de ton activité, une évolution de ton revenu, ce qu’il faut bien se dire, c’est qu’en tant que professionnel libéral, toi et moi, on travaille avec notre tête, toi en plus avec tes mains. Demain, il arrive quelque chose, tu as le moindre accident, si tu es mal couvert, quelque part, tu ne maintiendras pas ton niveau de vie et ton niveau de rémunération, ce qui peut être problématique pour la suite.
Typiquement, ces contrats-là qui sont un équivalent assurantiel tant qu’il n’y a pas de souci, on voit ça comme une dépense, on se dit, « ok, il n’y a pas de problème », le jour où intervient l’accident, manque de couverture, ça peut entraîner des problèmes sur le long terme, et forcément aussi à vie selon les situations. Je te rassure, tu es comme 99% des médecins avec qui je travaille et je répète, chaque année, la même chose. C’est important, planifier, anticiper, surtout quand ça touche à ce niveau-là la personne, en elle-même. »
Avoir un salarié ou sous-traiter
DP : « Autre sujet, là, on voulait recruter quelqu’un pour gérer un petit peu l’entretien au niveau de notre cabinet des locaux. Comment ça se passe ? Est-ce qu’on peut avoir l’aide d’un expert-comptable pour savoir s’il faut plutôt prendre un salarié, plutôt se tourner vers une entreprise qui fait du service ? »
MP : « Tout à fait. Alors tu peux avoir deux situations, dans ton cas, soit salarier la personne, soit avoir recours à un prestataire.
Dans le premier cas, si tu souhaites embaucher la personne, le cabinet pourra t’assister pour établir le contrat de travail, vérifier la convention collective applicable, également établir les bulletins de paye, puisque tu vas devoir établir mensuellement des bulletins de paye pour le ou la salarié(e), et également établir les charges qui seront payées tous les mois.
Et ce qu’il faut bien se dire, c’est que ce package de charges est bien déductible de ton revenu. Ça reste des charges de fonctionnement, tu peux venir diminuer ce qui te restera en somme à fiscaliser. »
Le second cas, beaucoup plus simple. Si tu fais intervenir un prestataire, à ce moment-là, ça reste une simple facture, une dépense déductible au titre des frais de fonctionnement. »
DP : « On en a appris un paquet grâce à toi, merci beaucoup ! Et à très bientôt. »